La volatilité est le nœud du problème : pourquoi les énergies renouvelables seront perçues comme un refuge de stabilité

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La variabilité récente des prix du pétrole, à la suite du bombardement des installations nucléaires de l’Iran en juin 2025, rappelle cruellement à quel point l’économie mondiale reste vulnérable aux marchés des combustibles fossiles. Chaque soubresaut géopolitique entraîne des secousses dans les marchés de l’énergie, révélant une vérité plus profonde : la volatilité n’est pas un accident de parcours du système fossile ; elle en est une caractéristique structurelle.

La volatilité comme outil de contrôle

Les marchés pétroliers ont toujours été soumis à des cycles de hausses et de baisses, et ce phénomène n’est pas nouveau. Depuis au moins les années 1970, la volatilité a été utilisée – parfois de manière stratégique – pour influencer la géopolitique, réorienter les flux de capitaux et peser sur les politiques publiques. Cela dit, cette volatilité n’est pas exercée de façon irréfléchie. Les producteurs à faibles coûts, comme l’Arabie saoudite, gèrent souvent leur production avec prudence et discernement. Leur objectif n’est pas la perturbation constante, mais l’avantage à long terme.

Or, à mesure que la demande mondiale de pétrole déclinera, l’utilité stratégique de la volatilité pourrait s’accroître. Qu’elle soit voulue ou subie, l’instabilité des prix peut servir plusieurs objectifs :

  • Des prix élevés la majorité du temps assurent des rentes aux producteurs à faibles coûts ;
  • Des effondrements ponctuels des prix éliminent les concurrents à coûts élevés, comme les sables bitumineux ou le pétrole de schiste ;
  • Une incertitude persistante décourage les investissements dans l’électrification et les énergies propres, ralentissant ainsi la transition.

Autrement dit, la volatilité renforce le statu quo. Elle décourage les investissements dans les énergies propres, freine l’ambition politique, et perpétue la domination des producteurs fossiles à faibles coûts.

Cette instabilité n’est pas seulement structurelle : elle est aussi exploitable. Guerres, embargos, cyberattaques, sabotages ou droits de douane. Les flux énergétiques fossiles sont vulnérables par conception. Et ceux qui les contrôlent comprennent bien la valeur stratégique du désordre. Des chocs géopolitiques, comme l’attaque contre l’Iran ou la guerre menée par la Russie en Ukraine, ont des répercussions mondiales, non seulement en raison des interruptions physiques, mais aussi parce que la dépendance énergétique transforme chaque conflit international en crise économique domestique.

Il faut toutefois reconnaître que la volatilité n’est pas entièrement fabriquée. Les chocs extérieurs – conflits armés, événements climatiques extrêmes, pandémies, ruptures logistiques – existeront toujours. Mais le système fossile amplifie ces perturbations et accroît la vulnérabilité des sociétés. Les renouvelables, au contraire, offrent un tampon structurel contre la manipulation stratégique et les imprévus.

À cela s’ajoute une nouvelle menace : la baisse des investissements dans les infrastructures pétrolières et gazières en amont, telle que documentée par l’AIE. Si la transition énergétique ralentit ou stagne, tandis que la demande fossile reste élevée, un déséquilibre d’offre pourrait surgir au cours de la décennie. Ce décalage entre investissements à la baisse et demande persistante pourrait engendrer des flambées de prix importantes, même sans crise géopolitique.

Le mythe des combustibles fossiles « fiables »

Depuis plus d’un siècle, les combustibles fossiles sont présentés au public et aux décideurs comme des sources d’énergie fiables. Mais fiabilité ne signifie pas stabilité. Un baril de pétrole est soumis à la fois à des contraintes physiques et politiques. Physiquement, la production repose sur des réserves finies, des délais d’extraction, des goulets d’étranglement logistiques et des aléas climatiques. De plus, tous les pétroles ne sont pas interchangeables – les raffineries sont conçues pour des bruts spécifiques, ce qui complique les substitutions en cas de crise d’approvisionnement. Politiquement, les prix sont influencés par des décisions humaines prises dans des régimes souvent opaques ou autoritaires : quotas de l’OPEP, embargos, manipulations de stocks stratégiques, etc. Ce qui semble être un mécanisme d’efficience des prix est en réalité de grandes montagnes russes alimentées par la logique des cartels, la finance spéculative et la géopolitique pétrolière.

Les marchés de l’électricité alimentés par des sources fossiles héritent de ces mêmes vulnérabilités. Les centrales à gaz répondent rapidement aux pointes de demande locale, mais les marchés gaziers sont globaux. Même les pays riches en gaz ou en pétrole ne sont pas à l’abri des fluctuations de prix, car les prix des combustibles sont fixés sur les marchés internationaux. Les coûts de l’énergie dans ces régions fluctuent donc en fonction de la météo, des conflits ou du commerce mondial. Le charbon, en revanche, peut être extrait localement dans plusieurs régions, ce qui le rend parfois plus stable en prix. Cette accessibilité a contribué à le rendre politiquement attrayant malgré ses conséquences environnementales.

Des renouvelables, de la variabilité à la stabilité

Le principal reproche adressé aux énergies renouvelables – leur variabilité – pourrait bien devenir leur principal atout. Chaque jour, le soleil se lève et se couche à des moments précis. Le vent fluctue, certes, mais selon des modèles de plus en plus bien compris. Ces sources ne sont pas soumises à des coups d’État, à des embargos, ni à des crises géopolitiques. Leur variabilité est météorologique, non politique. Sur une journée, leur production peut varier, mais sur une année, leur rendement est hautement prévisible. Ce profil temporel, qui présente une variabilité à court terme et une stabilité à long terme, rend ces ressources beaucoup plus compatibles avec la planification du réseau électrique actuel. Certaines régions, comme le Québec, où je vis, bénéficient d’un avantage structurel important : l’hydroélectricité, avec les barrages d’Hydro Québec . Elle permet d’absorber les variations journalières et saisonnières de la production éolienne et solaire, renforçant la fiabilité globale du système.

Mais surtout, le soleil et le vent ne se négocient pas sur des marchés mondiaux volatils. Ils sont gratuits, locaux, et à l’abri des tensions diplomatiques. Leur infrastructure peut être construite au plus près des consommateurs, améliorant la résilience, créant des emplois locaux, et réduisant la dépendance aux chocs d’approvisionnement distants. Contrairement aux hydrocarbures, les énergies renouvelables peuvent être exploitées dans n’importe quelle juridiction. Cela ouvre la voie à des stratégies industrielles régionales : fabrication locale de panneaux solaires, batteries, thermopompes, composantes d’éoliennes. La transition devient non seulement une urgence climatique, mais une stratégie industrielle et de compétitivité.

Avec la baisse des coûts des batteries, la flexibilité de la demande (recharge intelligente des véhicules électriques, V2G, tarification dynamique) et l’intégration à la production hydroélectrique, l’intégration des ressources variables devient techniquement et économiquement faisable. Ces outils permettent aux renouvelables de s’ajuster à la demande mieux que ne le peuvent les systèmes fossiles.

Des régions comme l’Australie du Sud ou la Californie ont déjà connu des périodes de production 100 % à partir du vent et du soleil, sans incident majeur. En parallèle, le stockage local, le solaire résidentiel et les microréseaux renforcent encore la stabilité. Vu sous l’angle de la gestion des risques, les renouvelables agissent comme des actifs stabilisateurs dans un paysage énergétique autrement volatil. Leur déploiement local, leur rendement prévisible et leur indépendance vis-à-vis des marchés mondiaux en font une base stratégique de système électrique adaptatif.

Une nouvelle définition de la sécurité énergétique

La véritable sécurité énergétique ne viendra pas du prolongement des pipelines ou de la construction de terminaux GNL. Elle repose sur une réduction structurelle de notre exposition aux marchés fossiles instables : surcapacité des renouvelables, renforcement des interconnexions électriques, déploiement de stockage et flexibilité de la demande. Oui, cela demande un investissement initial. Mais le retour est immense : un avenir où les prix de l’énergie ne sont plus dictés par des conflits lointains ou des acteurs imprévisibles.

Alors que les coûts des renouvelables continuent de baisser et que les perturbations géopolitiques se multiplient, un renversement narratif s’opère. Les renouvelables ne seront plus perçues comme des sources incertaines. Elles deviendront des archipels de stabilité dans un monde de plus en plus chaotique. Basées sur des ressources locales, prévisibles et politiquement neutres, elles redéfinissent les termes de la sécurité énergétique du XXIe siècle.