Je reviens d’un séjour aux Îles-de-la-Madeleine, dans le golfe du St-Laurent. Derrière la beauté des paysages, on découvre une réalité énergétique unique, à la fois pragmatique et fragile.
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Un archipel beau et fragile
L’énergie aux Îles est encore dominée par les combustibles fossiles : diesel pour les bateaux et les camions, et essence pour les voitures, gros moteurs maritimes pour la centrale thermique de Cap-aux-Meules, mazout pour le chauffage.
Deux éoliennes ponctuent le paysage. Elles symbolisent une volonté de diversification, mais aussi les résistances locales face à un changement perçu comme imposé « du continent ». Contrairement à l’Île-du-Prince-Édouard, visitée sur le chemin du traversier, je n’ai vu aucun panneau solaire aux Îles. Sur l’Î.-P.-É., les panneaux sont déjà visibles dans le paysage et intégrés dans la vie quotidienne, ce qui accentue le contraste.
Une économie locale ancrée dans le diesel
La centrale de Cap-aux-Meules fonctionne avec de gros moteurs diesel maritimes de 12 MW. Ce sont les mêmes types de moteurs que l’on retrouve dans de nombreuses centrales en Afrique ou dans d’autres régions isolées du monde : fiables, robustes, mais rigides. Ils ne peuvent pas s’ajuster rapidement aux variations de l’éolien.
Leur entretien mobilise des mécaniciens spécialisés, souvent formés dans le milieu maritime. Ces emplois stables sont essentiels dans une économie locale marquée par la saisonnalité du tourisme et de la pêche. Remplacer le diesel par des énergies renouvelables ne recrée pas le même tissu d’emplois. Et c’est là tout le dilemme : la transition énergétique ne se limite pas à remplacer des mégawatts, elle doit aussi composer avec les structures économiques et sociales existantes.
Entre renouvelables et rigidité du réseau
L’intégration des énergies renouvelables se heurte directement à cette réalité. Les deux éoliennes actuelles produisent de l’électricité, mais leur contribution est limitée par la rigidité du parc thermique. L’absence de solaire résidentiel ou commercial renforce cette impression d’un système qui reste enfermé dans son modèle traditionnel, malgré le potentiel et les exemples inspirants observés ailleurs.
Le plan d’Hydro-Québec (juin 2025)
Hydro-Québec a récemment annoncé une stratégie pour transformer l’approvisionnement énergétique des Îles :
- Un nouveau parc éolien de 16,8 MW à Grosse-Île, qui réduira de 40 % la consommation de diesel.
- Un programme solaire résidentiel et commercial dès 2026 (jusqu’à 50 % du coût couvert).
- Une nouvelle centrale à carburant à faible intensité en carbone d’ici 2035 pour maintenir des emplois locaux.
- Un programme d’efficacité énergétique de 70 M$, incluant le déploiement massif de thermopompes.
Ce plan répond aux contraintes sociales et techniques, mais il n’est pas très innovant. On aurait pu espérer davantage : expérimentations avec le stockage, projets pilotes de microgrids hybrides, solutions plus audacieuses, comme on en voit dans d’autres îles.
Transport et chauffage : de petits pas concrets
J’ai vu quelques voitures électriques. Comme pour les thermopompes, chaque remplacement réduit la consommation de carburant importé et les émissions, malgré l’électricité de source fossile, surtout dans un climat tempéré qui maximise les gains d’efficacité.
Le contraste avec les Orkney
À l’autre bout de l’Atlantique, les îles Orkney (Écosse) ont pris une voie différente : miser massivement sur le renouvelable (éolien, marée, solaire), puis inventer des solutions pour équilibrer le réseau avec du stockage et de l’hydrogène vert. Aux Îles-de-la-Madeleine, l’approche reste prudente et traditionnelle : sécuriser l’énergie avec une base thermique, et intégrer progressivement des renouvelables. Deux logiques opposées, toutes deux légitimes selon les contextes.
Les Madelinots face aux changements climatiques
Les habitants n’ont pas besoin d’explications théoriques : ils vivent déjà les effets du climat. L’érosion côtière est visible partout, des maisons entières sont protégées par des enrochements artificiels, et la disparition du couvert de glace aggrave les tempêtes hivernales. Leur empreinte carbone est minuscule, mais leur vulnérabilité est immense.
Maisons protégées par enrochement
Un contraste universel : pragmatisme vs idéalisme
Ce contraste entre pragmatisme (à la Michael Liebreich) et idéalisme (à la Greta Thunberg) n’est pas exclusif aux Îles. On le retrouve partout où la transition menace les façons de faire ou l’ordre établi. Pensons à l’Alberta : confrontée aux feux de forêt liés au climat, mais toujours dépendante de l’exploitation pétrolière.
Conclusion – La politique est l’art du possible
Vues du continent, les contradictions semblent évidentes : reconnaître les changements climatiques tout en continuant à dépendre du diesel. Mais la transition énergétique des Îles doit se construire avec et pour leurs habitants.
La stratégie d’Hydro-Québec trace une voie pragmatique : diversifier les sources, réduire les GES, tout en préservant l’économie locale. Mais pour un territoire aussi exposé et symbolique, on aurait peut-être aimé plus d’audace.