
Le secteur automobile canadien est à un point d’inflexion. Alors que des PDG pressent Ottawa d’assouplir le mandat VZE, que la politique américaine diverge et que les tarifs redessinent les échanges, la question est de savoir comment le Canada peut rester compétitif tout en se préparant à un avenir électrique. Cet article propose un plan robuste pour les premières années et évolutif par la suite.
L’électrification est la direction à suivre. Selon le Global EV Outlook 2024 de l’Agence internationale de l’énergie, les ventes mondiales de véhicules électriques ont déjà dépassé leurs tendances de croissance d’avant la pandémie et devraient représenter plus de 60 % des ventes mondiales d’ici 2035 dans le cadre des politiques actuelles. BloombergNEF et l’AIE estiment que le pic mondial des ventes de véhicules thermiques (ICE) a eu lieu entre 2017 et 2019, avec un déclin structurel désormais amorcé, qui devrait s’accélérer à mesure que les réseaux de recharge se développent. Ce point de bascule signifie que retarder l’action coûterait cher à inverser. Maintenir le cap sur l’électrification peut offrir des gains majeurs en certitude d’investissement, en ancrage de la chaîne d’approvisionnement et en économies de santé publique et de coûts pour les consommateurs. Le prix stratégique est d’être prêt lorsque le monde, y compris les États-Unis, se tournera résolument vers l’électrique.
Les PDG de constructeurs automobiles au Canada ont pressé Ottawa d’abroger le mandat VZE dans des lettres privées et des rencontres avec le Premier ministre, comme l’ont rapporté CBC News et Bloomberg à la mi 2025, et je comprends pourquoi. Si les États-Unis assouplissent leurs règles sur les émissions et réorientent leurs capitaux vers les camions et VUS thermiques, tandis que le Canada maintient son cap sur les VÉ, nous risquons de perdre l’intégration avec la chaîne d’approvisionnement nord-américaine et les économies d’échelle qui l’accompagnent.
Cependant, abandonner le mandat figerait des émissions plus élevées et laisserait le Canada derrière l’Europe et l’Asie, où les politiques demeurent fermes malgré le resserrement des barrières commerciales.
Ajouter le Mexique à l’équation. Le Mexique est un grand exportateur de véhicules qui profite du rapprochement des chaînes d’approvisionnement. Si l’élan américain pour les VÉ ralentit, le Mexique peut tout de même attirer des investissements dans les VÉ et les composants destinés à l’Amérique latine et au-delà. Un partenariat sur les chaînes de valeur, des matériaux jusqu’aux modules, permet de préserver les économies d’échelle nord-américaines et de positionner les deux pays pour accélérer lorsque la politique américaine évoluera.
Donnée clé : En juin 2025, le Canada a importé environ 1,08 G$ de voitures particulières en provenance du Mexique contre ~950 M$ en provenance des États-Unis. C’était le premier mois où le Mexique arrivait en tête par valeur, ce qui renforce l’argument en faveur d’un pipeline Canada–Mexique alors que la politique américaine demeure incertaine.
Deux scénarios plausibles
- Séparation courte (2 à 4 ans) : les États-Unis réalignent leurs règles et incitatifs pour les VÉ, rétablissant l’échelle continentale.
- Séparation longue (5 à 10 ans) : les tarifs et la divergence politique persistent, et le Canada et le Mexique portent davantage l’élan régional des VÉ.
Comme ces deux scénarios ne divergent qu’après quelques années, la phase initiale doit être la même : un plan sans regret valable dans les deux cas.
Trois premières années : plan sans regret
- Maintenir le cap du mandat VZE avec flexibilité : permettre la mise en réserve et l’emprunt limité de crédits, et offrir un crédit transitoire et dégressif pour les VHR branchables lié à l’usage réel en mode électrique.
- Renforcer la clarté de la demande et l’infrastructure : rétablir des incitatifs prévisibles à l’achat alignés sur l’efficacité des véhicules et la durabilité des batteries (empreinte carbone et approvisionnement responsable), et développer la recharge publique ainsi que l’adaptation pour la recharge résidentielle afin de rassurer les consommateurs.
- Maintenir l’économie d’échelle continentale : établir un pipeline Canada–Mexique avant l’examen de l’ACEUM de 2026 sur les règles d’origine, les normes de recharge, la logistique et un passeport batterie commun.
- Ancrer les investissements dans la chaîne d’approvisionnement : sécuriser des accords de plateforme (attributions de production, R-D partagée ou ententes d’approvisionnement) avec des constructeurs européens, chinois, japonais et coréens, et garantir des contrats à long terme pour les minéraux critiques et le recyclage.
Années 4 à 10 : actions selon le scénario À partir de la troisième année, le plan bifurque selon le scénario.
Si la politique américaine se réaligne d’ici 2028 (séparation courte) :
- Éliminer progressivement le pont VHR?; mettre fin à l’emprunt de crédits d’ici 2030.
- Durcir les limites de mise en réserve et donner priorité au contenu Canada–É.-U. et aux corridors de VÉ transfrontaliers.
- Harmoniser la recharge, les paiements et les données?; reconnaître réciproquement les crédits pour accélérer la montée en puissance.
Si la séparation persiste pendant 5 à 10 ans (séparation longue) :
- Créer un couloir de conformité Canada–Mexique avec des multiplicateurs de crédits plus élevés pour le contenu conforme.
- Développer la chaîne d’approvisionnement domestique en amont des batteries (cathodes/anodes, moteurs, électronique de puissance, logiciels) et accélérer les raccordements au réseau.
- Maintenir les garde-fous sur les véhicules finis tout en ouvrant sélectivement des canaux pour les composants et outillages sous règles strictes de sécurité et de traçabilité?; développer des routes d’exportation vers l’UE et l’Amérique latine.
Cohérence et stabilité des politiques
Les principes ci-dessus sous-tendent les deux scénarios plausibles et devraient guider les choix, quelle que soit l’évolution de la politique américaine. Ils mettent aussi en lumière un défi structurel : contrairement au modèle centralisé de la Chine, le processus démocratique canadien exige consultation, débat et compromis, ce qui rend la cohérence plus difficile, mais la légitimité plus forte.
- Aligner les mesures nationales grâce à des consultations structurées, des études d’impact transparentes et un débat parlementaire pour renforcer l’acceptabilité sociale.
- Ancrer les règles VÉ et chaînes d’approvisionnement dans des accords internationaux (p. ex. Canada–Mexique, Canada–UE, Canada–Japon). Ceux-ci offrent plus de certitude que les seules politiques domestiques, qu’un futur gouvernement pourrait renverser.
- Établir des garde-fous sur les partenariats avec la Chine : transfert technologique, redevances et transparence de l’approvisionnement, afin que la coopération ne se transforme pas en dépendance.
- Assurer des règles stables pour les investisseurs. L’instabilité politique décourage le financement plus que des cibles ambitieuses.
Pourquoi cet équilibre est important
Le gain potentiel : Être prêt lorsque le monde, y compris les États-Unis, se tournera résolument vers l’électrique, en obtenant la priorité pour les attributions de plateformes, les investissements fournisseurs et les corridors d’exportation.
- Le mandat procure une certitude d’investissement et une flexibilité intégrée pour réduire le risque de conformité si le marché américain ralentit. En même temps, des engagements solides dans la chaîne d’approvisionnement positionnent le Canada comme un pivot de l’écosystème VÉ, prêt à croître lorsque le cycle tournera.
- Des incitatifs prévisibles à l’achat, combinés à des investissements visibles dans les réseaux de recharge publics et au soutien à la recharge résidentielle, soutiennent la demande des consommateurs en leur montrant qu’il est pratique et réalisable de posséder un véhicule électrique.
- Des garde-fous et un pacte Canada–Mexique préservent la résilience, équilibrant concurrence mondiale et stabilité régionale.
Le Canada n’a pas à choisir entre ambition et réalisme, ni entre intégration continentale et diversification via le Mexique. Nous pouvons maintenir le cap sur les résultats, adapter le chemin et être prêts à diriger lorsque la politique nord-américaine évoluera et que le marché se tournera résolument vers l’électrique.
Quelles mesures le Canada devrait-il prioriser maintenant??