
L’intégration profonde du réseau électrique du Canada avec celui des États-Unis a longtemps offert des avantages économiques, notamment grâce à un échange transfrontalier efficace. Des provinces comme le Québec, l’Ontario, le Manitoba et la Colombie-Britannique ont tiré parti de ce système interconnecté pour exporter leur surplus d’énergie hydroélectrique, stabiliser l’offre et la demande et générer des revenus. Cependant, cette intégration crée aussi des vulnérabilités stratégiques, notamment en raison des tensions géopolitiques et des changements de politique aux États-Unis, qui exposent les compagnies d’électricité canadiennes à de nouveaux risques.
Compte tenu des risques croissants liés au levier économique des États-Unis, aux changements réglementaires et même à la rhétorique d’annexion, le Canada doit réévaluer son approche en matière d’interconnexions électriques et de gouvernance du réseau. Doit-il réduire sa dépendance aux interconnexions avec les États-Unis ? Devrait-il établir un opérateur de réseau indépendant (ISO) à l’échelle nationale?? Le Canada doit-il développer ses propres interconnexions est-ouest, afin de ne plus dépendre des interconnexions nord-sud avec les États-Unis ?
Une province a déjà choisi une voie plus autonome : le Québec. Hydro-Québec exploite un réseau indépendant, alimenté par ses propres infrastructures et installations ainsi qu’au Labrador, tout en exportant et important de l’énergie vers les États-Unis selon ses propres conditions. Ce modèle démontre qu’il est possible de garder le contrôle sur l’approvisionnement en électricité tout en participant au commerce transfrontalier. Reste à savoir : le Canada devrait-il suivre cet exemple??
Vulnérabilités stratégiques du commerce d’électricité entre le Canada et les États-Unis
Le réseau électrique du Canada n’est pas unifié à l’échelle nationale, mais plutôt une mosaïque de réseaux provinciaux, dont plusieurs sont davantage connectés aux États-Unis qu’aux provinces voisines.
Ces interconnexions procurent une stabilité et des profits liés aux échanges d’électricité, mais elles exposent également le Canada à plusieurs risques :
- Influence géopolitique : Les États-Unis pourraient utiliser le commerce de l’électricité comme un levier de négociation dans des différends économiques ou sécuritaires, en imposant des tarifs, des plafonds de prix ou des barrières réglementaires.
- Dépendance réglementaire : Les compagnies d’électricité canadiennes doivent se conformer aux normes de fiabilité définies aux États-Unis par la North American Electric Reliability Corporation (NERC) et ses entités régionales, ce qui soumet le Canada aux décisions politiques américaines.
Risques de cybersécurité : Les interconnexions transfrontalières créent des vulnérabilités en matière de cybersécurité. Si des agences américaines comme le Department of Energy (DOE) ou la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) subissent des réductions budgétaires, la supervision de la sécurité du réseau pourrait s’affaiblir, exposant ainsi le Canada à des menaces accrues. De plus, de récents développements suggèrent que les États-Unis ne qualifient plus la Russie de menace pour la cybersécurité, ce qui soulève des inquiétudes quant à la pertinence des mesures défensives américaines contre d’éventuelles cyberattaques. (The Guardian)
Ces préoccupations rejoignent les conclusions du rapport 2018 du Comité permanent des ressources naturelles, intitulé «?Strategic Electricity Interties?», qui souligne la nécessité de renforcer les interconnexions interprovinciales. Ce rapport met en évidence le fait que la dépendance du Canada aux interconnexions nord-sud nuit à la sécurité énergétique et limite sa flexibilité économique, ce qui accentue l’urgence d’adopter une stratégie nationale.
Comment les réseaux électriques du Canada et des États-Unis sont-ils interconnectés?? Et pourquoi est-ce important??
Le système électrique nord-américain est composé de plusieurs « interconnexions?», qui fonctionnent de manière coordonnée, mais ne sont pas synchronisées. Une interconnexion est un vaste système électrique régional où plusieurs réseaux opèrent en parfaite synchronisation, ce qui permet à l’électricité de circuler efficacement. Tous ces réseaux fonctionnent à environ 60 Hertz (Hz), mais sans être exactement en phase. Chaque interconnexion équilibre indépendamment sa production et sa consommation, avec des capacités de transfert limitées entre elles.
Les États-Unis et le Canada partagent plusieurs interconnexions majeures, qui facilitent les flux d’électricité et la coordination en matière de fiabilité.
- Interconnexion de l’Est : Couvre la majeure partie de l’Amérique du Nord à l’est des Rocheuses, incluant l’Ontario, le Manitoba et les provinces maritimes. Il s’agit de la plus vaste interconnexion.
- Interconnexion de l’Ouest : Comprend la Colombie-Britannique et l’Alberta et s’étend aux États américains de l’Ouest.
- Interconnexion du Québec : Contrairement au reste du Canada, le Québec fonctionne de manière indépendante et utilise des liaisons haute tension en courant continu (HVDC) et d’autres liaisons asynchrones pour se connecter à l’interconnexion de l’Est sans synchronisation directe.
- Interconnexions du Texas et de l’Alaska : Ces systèmes étatsuniens fonctionnent indépendamment du reste du réseau nord-américain, sans lien direct avec le Canada.
Qui contrôle réellement le réseau électrique canadien?? Le rôle de NERC, NPCC, WECC et MRO
Bien que le Canada gère ses ressources électriques, la fiabilité du réseau est fortement influencée par la NERC et ses entités régionales, qui imposent des normes à l’échelle de l’Amérique du Nord pour les échanges transfrontaliers et la fiabilité du réseau, dont :
- NPCC (Northeast Power Coordinating Council) : Couvre le Québec, l’Ontario, les provinces maritimes et les états du Nord-Est étatsunien.
- WECC (Western Electricity Coordinating Council) : Supervise la Colombie-Britannique et l’Alberta et assure la coordination avec les états de l’ouest des États-Unis.
- MRO (Midwest Reliability Organization) : Inclut le Manitoba, la Saskatchewan et une partie de l’Ontario, intégrant avec le Midwest américain.
Comme ces organisations relèvent toutes de la NERC, les services publics canadiens doivent se conformer aux normes américaines, même lorsqu’ils desservent uniquement le marché intérieur. Si les politiques de sécurité nationale des États-Unis ou leurs accords commerciaux évoluent, le Canada pourrait être contraint par des réglementations extérieures.
Des interconnexions strictement canadiennes : une alternative au réseau nord-américain
Le Québec exploite sa propre interconnexion, distincte des interconnexions de l’Est et de l’Ouest. C’est la seule province canadienne à disposer d’un réseau autonome, lui conférant un contrôle stratégique sur ses flux énergétiques et ses échanges commerciaux. L’interconnexion québécoise repose sur des liaisons HVDC et d’autres liaisons asynchrones, permettant une régulation technique indépendante des échanges transfrontaliers.
Cette séparation a d’abord été conçue pour protéger l’interconnexion de l’Est des perturbations pouvant être causées par les longues lignes de transport d’énergie provenant du nord du Québec. Ce modèle permet au Québec de gérer efficacement son réseau quasi exclusivement hydroélectrique tout en maintenant un contrôle indépendant de ses opérations et de ses politiques d’exportation. Notamment, grâce à cette interconnexion autonome, le Québec n’a pas été affecté par la gigantesque panne de 2003, qui a commencé en Ohio et a laissé l’Ontario sans électricité. Cet incident, qui a touché plus de 50 millions de personnes, démontre à quel point le reste du Canada dépend de la stabilité du réseau américain.
Ce modèle confère au Québec une plus grande indépendance, l’isolant des défis potentiels de réglementation ou de fiabilité aux États-Unis. Cette indépendance crée un précédent pour l’établissement d’interconnexions exclusivement canadiennes, réduisant l’exposition aux parties américaines des interconnexions de l’Est et de l’Ouest. Étant donné la taille du Canada, cela nécessiterait deux interconnexions ou plus, reliées par de nouvelles liaisons HVDC.
La transition vers des interconnexions strictement canadiennes serait un projet de longue haleine, nécessitant au moins une décennie. Un exemple pertinent est celui des États baltes, qui ont récemment abandonné le réseau russe pour se synchroniser avec celui de l’Union européenne. Cette transition a exigé d’importants investissements dans la modernisation du réseau, le renforcement des infrastructures et une coordination internationale, et a pris plus de 15 ans à être achevée. Le Canada devrait envisager une planification similaire pour assurer une transition fluide vers une indépendance énergétique accrue.
Conclusion : la nécessité d’une stratégie électrique canadienne
Des interconnexions strictement canadiennes, appuyées par des liaisons HVDC est-ouest, permettraient au Canada de mieux équilibrer ses ressources renouvelables, d’assurer une plus grande fiabilité et de réduire sa dépendance aux réglementations et politiques américaines. Le Québec prouve déjà qu’un modèle de gestion indépendante est viable, offrant ainsi une feuille de route pour les autres provinces.
Bien que ce projet implique des défis importants, notamment en termes de coûts d’infrastructure et d’opposition provinciale, il pourrait représenter la meilleure solution à long terme pour assurer la souveraineté énergétique du Canada et renforcer la résilience de son réseau électrique.